Toujours en salles !
J’ai regardé le film de Ruffin que j’ai trouvé très drôle et salutaire… une façon ludique de dénoncer plus efficace qu’une démonstration sérieuse.
Robert Guédiguian
Ce film sort officiellement le 24 février, mais des avant-premières sont prévues en janvier, dont l’une le 25 janvier à Lille. Ne loupez ce film sous aucun prétexte. Le style est-il inspiré par Michael Moore, version « pieds nickelés picards » ? Est-ce très drôle à de nombreux moments ? Emouvant à d’autres ? Populaire ? Dénonciateur ? Est-ce une aventure parfois policière ? Trouve-t-on, du côté de la direction et des cadres du groupe LVMH, des propos tellement inouïs qu’on se demande s’ils n’ont pas été inventés par le réalisateur et joués par des acteurs ? Comment quelques personnes ont-elles pu piéger à ce point une machine sécuritaire d’entreprise aux énormes moyens ?
Ce film est tout cela à la fois, et plus encore car il va susciter débats et critiques, honnêtes ou malveillantes, et ce sera l’une des raisons du succès que je lui souhaite de tout cœur. Sur le plan éthique, la méthode de « piégeage » de Bernard Arnault et de ses séides est-elle justifiée, avec les caméras cachées, avec cet incroyable jeu d’acteurs d’un poker menteur qui nous tient en haleine ? Les personnes mises au chômage par Bernard Arnaud et qui défendent ici leur vie et leur maison, le dos au mur, sont-elles manipulées par le réalisateur ou totalement consentantes et actrices du film dans tous les sens du terme ? Que vont-elles devenir une fois le film terminé et projeté partout ? Cette mémorable action de petit groupe a-t-elle un sens et un intérêt pour les actions collectives, syndicales, etc. ? Le réalisateur n’est-il pas un peu trop présent, même si ses interventions sont pertinentes et souvent drôles ?
Pour ma part, j’ai peu de doute sur la légitimité des actions entreprises et sur l’intérêt politique et humain de « merci patron ». J’ai peu de doute sur le fait que « Bernard le flingueur », grand ami de Sarkozy (il faisait partie des happy few invités au Fouquet’s après l’élection de 2007), né à Roubaix, le Roubaix chic, déjà le luxe, dont l’immense fortune (estimée par Forbes à 37,2 milliards de dollars en 2015) a été bâtie sur le malheur de dizaines de milliers de salariés en France et ailleurs, prenne très mal cette atteinte à son image. Une image déjà écornée par son projet de devenir citoyen belge en 2012 pour des raisons de succession, projet qu’il abandonnera mais auquel il donnera une autre forme en transférant en Belgique début 2013, dans une fondation, la quasi-totalité des actifs de son groupe, avec Thierry Breton comme président de cette fondation au nom évocateur : Protectinvest.
J’ai accepté d’animer des débats faisant suite à la projection de ce film, c’est ma façon de le soutenir. Bravo les pieds nickelés picards pour cette œuvre de salubrité publique !
Jean Gadrey, pour Alternatives économiques